Demba Seydi, coordonnateur de "Publiez Ce Que Vous Payez" pour l'Afrique de l'Ouest. Crédit photo : Demba Seydi/ Oxfam

Parole aux partenaires : La relance économique continue de prendre le dessus sur toutes les préoccupations, y compris d'égalité et d'équité.

Un tiers des réserves minérales du monde se trouvent en Afrique et leur exploitation constituent, pour la plupart des pays africains, la principale source de revenus. Cependant, les populations du continent peinent toujours à ressentir les retombées positives. Et pour les jeunes filles et les femmes, la situation est encore plus préoccupante. Les projets du secteur extractif mettent en péril leurs moyens de subsistance, leur santé, leur sécurité et détériorent leur statut au sein des ménages et des communautés. 

Le mouvement mondial « Publiez Ce Que Vous Payez » fait campagne pour l’inclusion des femmes dans le processus décisionnel, du niveau communautaire au niveau international, et pour que les femmes bénéficient de l’extraction au même titre que les hommes. Nous nous sommes entretenus avec leur coordonnateur pour l’Afrique de l’Ouest, Demba Seydi.  

Question : De quelle manière, les industries extractives peuvent-elles profiter aux femmes et aux filles vivant dans les localités où sont installés les sites d'exploitation ?  

Demba Seydi : Il est important de rappeler que les activités extractives impactent considérablement les femmes, et le plus souvent de façon négative autant sur leur condition socio-économique que sur leur bien être sanitaire et environnemental. Ainsi, les femmes agricultrices sont fortement touchées par ces activités extractives qui accaparent les terres agricoles, les détournent de leurs usages traditionnels, dégradent l'environnement et rendent le travail domestique, souvent effectué par les femmes, plus difficile en limitant l'accès à l'eau, à la nourriture et au bois pour le feu. 

Paradoxalement, il n’y a jusque-là pas de mécanismes institutionnels qui permettent aux femmes et aux filles de bénéficier des retombées de l’exploitation des ressources minérales. Pour corriger ce manquement, les acteurs de la chaîne de valeur de l’industrie extractive pourraient envisager diverses mesures dont les suivantes: 

  • Lors de la phase d’exploration, les compagnies, l’Etat et les collectivités doivent mener une analyse de genre afin de comprendre comment les activités extractives pourraient impacter les femmes et les filles différemment des hommes.  
  • Les femmes doivent être consultées suffisamment et de façon indépendante pour donner leur consentement au projet extractif. Ce consentement doit reposer sur des informations exhaustives et justes de tous les potentiels impacts des activités extractives dans la zone concernée.  
  • Il arrive souvent que les activités extractives impliquent une délocalisation de certaines zones d'habitation et d'activités économiques des communautés vivant autour des sites d’exploitation. La délocalisation oblige le promoteur privé et l’État à engager des procédures d’indemnisation ou de compensation envers les personnes affectées. La plupart du temps, dans un système fortement patriarcal, les femmes n’ont pas l'accès et le contrôle au foncier et ne bénéficient donc pas de ces indemnisations, bien qu’elles puissent être cheffes de famille. Pour corriger ce manquement, il faut procéder à une indemnisation juste et équitable, qui prenne en compte la situation des populations dans leur globalité, sans discrimination basée sur le sexe.   
  • La plupart des pays riches en ressources naturelles disposent de mécanismes juridiques de partage des revenus. Cependant, très peu d’entre eux prennent en compte les femmes et les filles. Les États devraient prévoir des dispositions claires dans les lois afin de permettre aux femmes de bénéficier équitablement des revenus. Ce partage peut se faire à travers le financement de leurs besoins en termes de services sociaux de base, à travers le financement des initiatives économiques des femmes (projets communautaires, entreprises de femmes), à travers la prise en charge de l'éducation des filles et de leur protection sociale, entre autres.  

Question : Quels rôles pourraient jouer nos instances de gouvernance régionale (CEDEAO par exemple) pour que les femmes soient davantage intégrées dans cette industrie ?  

Demba Seydi : En Juin 2019, la CEDEAO a adopté sa « Loi modèle sur l'exploitation minière et le développement des ressources minérales ». Cette loi comprend diverses dispositions visant à améliorer les droits des femmes, notamment dans le secteur extractif. Parallèlement à ces dispositions, la CEDEAO a récemment entrepris un projet d’élaboration d’une Charte sur l’intégration du genre dans le secteur géo-extractif, pour rendre effectives les dispositions légales prévues dans la Loi modèle ainsi que les propositions que les différents acteurs ont élaborées en ce sens.  

Maintenant, la CEDEAO doit obliger ses États membres à veiller à une mise en œuvre effective aussi bien des dispositions de la Loi que celles de la Charte à travers des plans opérationnels et de suivi-évaluation clairement définis. Chaque pays devrait intégrer ces dispositions dans leur dispositif légal et politique.  

Question : La relance post Covid-19 pourrait-elle faire reculer ou retarder ces avancées en matière d’égalité des sexes ?  

Demba Seydi : En 2019, l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), qui vise à promouvoir une gestion transparente et responsable des ressources naturelles, a intégré des nouvelles exigences liées au genre. Elle oblige les 52 pays la mettant en œuvre à publier les données par sexe en matière d’emploi et encourage à ce que les informations soient disponibles, accessibles et compréhensibles par l’ensemble des acteurs, notamment les femmes. En 2021, nous avons réalisé une étude d'évaluation de la mise en œuvre de ces exigences de la Norme ITIE en Afrique de l’Ouest. L'étude a révélé que des efforts considérables ont été fournis, même si les progrès restent encore timides. Dans le monde, seules 5 à 10 % des personnes travaillant dans l’industrie minière sont des femmes. Pourtant, elles sont exposées à certaines des conditions de travail les plus dangereuses, en composant 40 à 50 % de la main d’œuvre dans le secteur minier artisanal.

La COVID-19 a été identifiée comme étant un facteur qui a freiné considérablement ces progrès. Et la courbe ne parvient toujours pas à s'inverser dans le contexte de relance post COVID. En effet, la relance économique continue de prendre le dessus sur toutes les préoccupations, y compris d'égalité et d'équité. Les urgences des États restent encore la mobilisation des ressources pour alimenter leurs budgets et financer leurs projets de développement, et ces derniers ferment les yeux sur les besoins des femmes et des filles.  

Question : En matière d'égalité et d’équité dans l’industrie extractive, il y a-t-il un "bon élève" en Afrique de l'Ouest ?  

Demba Seydi : Nous n’avons pas encore réalisé une étude comparative par pays pouvant établir un classement des bonnes pratiques. Cependant, entre 2018 et aujourd'hui, les efforts que nous avons déployés en Afrique de l’Ouest à travers notre projet « Genre et la norme ITIE » ont permis de faire avancer les droits des femmes dans le secteur extractif à plusieurs niveaux en Guinée, au Burkina Faso et au Sénégal. Au Sénégal, la publication des données désagrégées par genre sur l’emploi reste un exemple à suivre. De la même manière, la dissémination des données ITIE à l’endroit des populations est réalisée de façon à s’adapter aux besoins spécifiques des femmes et à des formats qui leurs conviennent. Les rapports simplifiés sont traduits en langues locales et des sessions d’échanges sont organisées avec les organisations de femmes des zones extractives. Comprendre les effets différenciés des activités extractives sur les hommes et les femmes afin de pouvoir apporter des solutions pertinentes.