Des choix difficiles et urgents s’annoncent pour les leaders africains qui lancent «l’année de la nutrition», destinée à aider des millions de personnes qui souffrent de la faim

Mercredi 02 février 2022
Idrissa Ouedraogo est agriculteur dans la région du Centre Nord du Burkina Faso. À cause de la faible pluviométrie, ses récoltes de mil, de maïs et de haricots ont séché. Crédit photo: Cissé Amadou/ Oxfam

Les États africains doivent augmenter les budgets agricoles, gérer les problèmes sécuritaires et les menaces à la paix, et prendre des mesures supplémentaires pour lutter réellement contre les inégalités.

Les leaders de l’Union africaine se réuniront à l’occasion d’un sommet décisif (prévu les 5 et 6 février) destiné à lancer « l’année de la nutrition », à l’heure où les niveaux de faim et de malnutrition empirent et entravent le développement durable de l’ensemble du continent.

En Afrique, une personne sur cinq (soit 282 millions) souffre de malnutrition et 93 millions de personnes vivant dans 36 pays souffrent de crise alimentaire grave. Les femmes et les enfants sont les plus touchés. En Afrique subsaharienne, la malnutrition chronique entraîne un retard de croissance chez un tiers des enfants de moins de cinq ans, et, parmi les femmes en âge de procréer, deux femmes sur cinq sont anémiques à cause d’une alimentation insuffisante.

Les Nations unies estiment que, rapportés aux PIB par habitant, les prix alimentaires de la région sont 30 % à 40 % supérieurs à ceux du reste du monde.

« La triple menace de la crise climatique, de la COVID-19 et de la guerre exige des prises de décision exceptionnelles de la part des leaders africains. De nombreux pays ont déjà pris des mesures décisives comme l’augmentation des investissements dans les soins de santé, la mise en place de système de protection sociale d’urgence et le soutien aux initiatives de paix locales dirigées par des femmes. Mais ces mesures restent trop peu nombreuses, estime Peter Kamalingin, directeur du programme panafricain d’Oxfam.

« Les gens sont forcés de sauter des repas pour nourrir leurs enfants, de vendre du bétail et d’autres biens, de mendier, d’interrompre la scolarité de leurs enfants et de récolter des cultures non mûres, poursuit M. Kamalingin. Plus de trois millions de Somaliens/ennes ont récemment quitté leur pays, principalement à cause de la faim. Des millions de foyers ruraux au Tchad, au Bénin, au Niger, au Mali et en Mauritanie se disent contraints à vendre plus d’animaux que d’habitude pour acheter plus de nourriture ».

Les injustices historiques, les inégalités et le prélèvement de richesses ont laissé plusieurs générations d’Africains/aines démunies et creusé la dette des économies nationales. Le taux de vaccination africain est le plus faible au monde tandis que les pays riches accaparent les doses de vaccin contre la COVID-19. Le continent est le plus touché par les changements climatiques : les températures augmentent plus rapidement que la moyenne mondiale de 1,2 degré.

« Même si la situation de l’Afrique semble extrêmement défavorable, les leaders du continent ont encore une marge de manœuvre importante pour améliorer la sécurité alimentaire. En 2020, plutôt que de consacrer 15 % des budgets nationaux à la santé et 10 % à l’agriculture, ils ont préféré augmenter les dépenses militaires de 5 %. Les dirigeants/antes doivent donner la priorité à la nourriture, au commerce et aux médicaments, et non aux balles, aux armes, et aux bombes », rappelle M. Kamalingin.

Vingt pays africains sont aujourd’hui confrontés à l’insécurité alimentaire et à la guerre et pas moins de sept coup d’État ont eu lieu en 2021. En Éthiopie, pays qui accueille le sommet de l’Union africaine, le conflit a engendré des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire dans les régions du Tigré, d’Amhara et d’Afar.

« Les leaders africains doivent faire un meilleur usage de l’ensemble des moyens dont ils disposent pour prévenir et résoudre les conflits », affirme M. Kamalingin.

Voici la liste des régions qui ont été touchées :

  • La Corne de l'Afrique traverse l’une des sécheresses les plus sévères des 40 dernières années, après trois années consécutives de pluies insuffisantes, tandis que des conflits se poursuivent en Éthiopie et en Somalie. Près de 15 millions de personnes souffrent de crise alimentaire grave et de pénurie d’eau sévère.
  • En Afrique de l’Ouest, le nombre de personnes nécessitant une aide humanitaire pourrait s’élever à 35,7 millions pendant la période de soudure allant de juin à aout 2022.
  • En Afrique du Sud, les communautés vivant dans le sud du Zimbabwe, le Lesotho, le Mozambique et le Malawi s’efforcent de faire face à la double catastrophe de la crise climatique et du choc économique dû à la COVID-19. De nombreux pays comme Madagascar continueront à dépendre des aides alimentaires jusqu’au début de la nouvelle saison des récoltes en avril 2022. 

Les agriculteurs/trices et les éleveurs/euses ont été particulièrement touchés par l’insécurité alimentaire. Les sécheresses ont détruit des milliers d’hectares de récoltes et réduit le bétail, deux sources principales de revenus. Les restrictions liées à la COVID-19 ont entraîné des retards dans la livraison de produits agricoles essentiels comme les engrais.

Jean-Paul Ndopoye, président de l’Union des Riziculteurs de Paoua (URP), en République centrafricaine, a déclaré à Oxfam : « Notre plus grand problème est la vente de produits agricoles. Avec la crise sanitaire et l’état calamiteux des routes, nous ne pouvons plus voyager pour vendre ces produits dans les villes et les pays voisins comme le Tchad. Nous voulons intégrer des réseaux de vente rentables pour les vendre ».

Achta Bintou, qui a dû fuir son foyer et habite maintenant le site d’accueil des personnes déplacées internes d’Amma au Lac Tchad, raconte à Oxfam : « Aujourd’hui, la crise a totalement changé nos vies. Nous avons dû quitter Boma pour nous installer au site d’Amma dans un abri qui cache à peine le soleil. Notre eau n’est pas potable et nous ne pouvons pas nous nourrir correctement. Imaginez que vous passez de trois repas par jour à un seul ».

À l’approche du sommet de l’Union africaine, Oxfam appelle les leaders africains à :

  • Réaliser les objectifs fixés en 2014 dans la Déclaration Malabo visant à réduire de moitié la pauvreté et la faim avant 2025, grâce à l’augmentation de la part du budget allouée à l’agriculture, fixée à un minimum de 10 % ; au soutien aux exploitations agricoles menées par des femmes et par des jeunes ; et à la promotion du commerce agricole intra-africain.
  • Élaborer un plan national d’investissements agricoles intégrant les questions de genre et les impératifs climatiques, chercher principalement à aider les exploitations familiales dans des secteurs autres que les cultures de rente.
  • S’engager à résoudre pacifiquement les conflits et à renforcer les mécanismes africains de paix et de sécurité destinés à prévenir et à résoudre les conflits. Veiller au respect du droit humanitaire international dans le cadre des guerres, condamner les violations des droits humains et obliger les coupables à rendre des comptes.
  • Garantir un accès sûr à l’aide humanitaire aux personnes les plus démunies.
  • Adopter le projet de Protocole à la Charte africaine des droits des citoyens relatifs à la protection sociale et à la sécurité sociale et encourager les États membres à le signer et à le ratifier en vue de garantir un accès universel à une alimentation et à une nutrition adéquates et de lutter contre la vulnérabilité et les inégalités.
  • S’assurer que les organisations humanitaires nationales en première ligne sont au cœur des initiatives politiques de lutte contre la crise alimentaire. 
  • Tirer des leçons des injustices révélées par la pandémie de COVID-19 et investir conjointement dans des partenariats visant à garantir des soins de santé à long terme pour les Africains/aines, notamment l’allocation de 15 % des budgets annuels à la santé, conformément à la déclaration d’Abuja.
  • Faire entendre pleinement les revendications politiques africaines appelant les plus grands émetteurs de carbone, comme la Chine et les États-Unis, à réduire leurs émissions, à dédommager les Africains/aines pour les pertes et les dommages causés sur leur continent par la crise climatique, et à les aider à atténuer les effets des changements climatiques.
Notes aux rédactions: 
  • Oxfam a porté assistance à près de 12 millions des personnes les plus démunies vivant dans 22 pays africains via des aides d’urgence, notamment en leur fournissant de l’eau propre, de la nourriture et des liquidités. De plus, avec nos partenaires locaux, nous mettons en place des programmes axés sur les questions de genre, le climat et la création de revenus pour aider les personnes à reconstruire leur vie, à revendiquer leurs droits et à faire face aux conséquences dévastatrices des changements climatiques.
  • En Afrique, le nombre de personnes n'ayant pas les moyens de s'offrir une alimentation saine s'élève à un milliard, soit un tiers du chiffre mondial. Source : FAO et al., rapport sur « L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2021 ».  
  • D’après les estimations de la FAO relatives à la prévalence de la malnutrition en Afrique (y compris en Afrique du Nord), 21 % de la population souffrait de malnutrition en 2020, contre 17 % en 2015. Cela équivaut à un total de 282 personnes, contre 200 millions en 2015. Ibid
  • Chiffre : « près d'un·e Africain·e sur cinq a souffert de la faim en 2020, soit deux fois plus que dans le reste du monde », tiré du bulletin politique intitulé : « L'Afrique et la sécurité alimentaire », Nations unies, Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique, octobre 2021.
  • Les chiffres sur les mécanismes d'adaptation extrêmes proviennent de l’enquête de surveillance de la sécurité alimentaire du Programme alimentaire mondial (PAM). Les données sont collectées de manière continue. Pour plus d’informations sur la méthodologie utilisée, veuillez consulter la Carte de la faim.
  • Les chiffres relatifs à l’anémie des femmes subsahariennes et aux retards de croissance des enfants âgés de moins de cinq ans de la région sont tirés du rapport mondial sur la nutrition 2021.
  • Le nombre de pays africains qui traversent des conflits est basé sur des chiffres extraits du programme de l’université d’Uppsala sur les conflits et de l'International Crisis Group.
  • Situation climatique en Afrique https://public.wmo.int/en/our-mandate/climate/wmo-statement-state-of-global-climate/Africa
  • Les données sur les fournitures d’armes et les conflits en Afrique proviennent d’une fiche descriptive publiée par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) intitulée Tendances des dépenses militaires mondiales en 2020
  • Les données sur les prix alimentaires proviennent d’un rapport de l’OCDE. De même, dans les 20 pays d'Afrique subsaharienne pour lesquels il existe des données mensuelles sur les prix, en octobre 2021, les prix alimentaires avaient augmenté de 11 % par rapport à l’année précédente.
Contact information: 

Simon Trépanier au Soudan| simon.trepanier@oxfam.org| +249 99 180 3627 | WhatsApp: +39 388 850 9970

Pour connaître les dernières nouvelles, suivez-nous sur Facebook et Twitter