Les justiciers du Sahel: ces super-héros africains qui luttent contre les inégalités

Les justiciers du Sahel sont des activistes aux pouvoirs bien réels qui luttent contre les inégalités au quotidien

Au Mali, au Niger et au Tchad, les adversités ne manquent pas mais Kadiatou, Younoussi, Salim, Yasmine, Fousseyni et bien d’autres héros anonymes nous démontrent tous les jours qu’on peut y faire face.

Malgré son immense potentiel de développement, la région du Sahel fait face à des défis de taille : pauvreté extrême et inégalités criantes rendent la vie de millions de personnes plus difficile et plus courte. Pour les femmes notamment, les discriminations sont autant d’obstacles sur le chemin de leur émancipation et de leur développement personnel. Aller à l’école pour les petites filles ou se rendre chez le médecin pour les malades reste un rêve inatteignable pour beaucoup.

Mais le Sahel possède aussi une richesse incalculable : sa jeunesse. Que ce soit au Mali, au Tchad ou au Burkina Faso, au Sénégal, au Niger ou en Mauritanie, ces jeunes sont bien décidés à faire bouger les lignes. Conscient-e-s que la pauvreté et les inégalités ne sont pas une fatalité mais le résultat de choix politiques et économiques, ils et elles mobilisent leurs communautés et travaillent pour un Sahel plus juste et solidaire. Ce sont des super-héros du quotidien aux pouvoirs bien réels.

Oxfam est allée à leur rencontre.

Malika: « On a cassé les codes. »

Rakizatou Malika, plus connue sous le nom de Malika la Slameuse, est une artiste burkinabée et entrepreneuse. Elle utilise son talent en faveur des personnes marginalisées. Inspirée par l’artiste malien Salif Keita et le travail qu’il effectue pour la cause des albinos, sa fondation oeuvre à changer leur statut au Burkina Faso.

« Il y a tellement d’albinos qui ne partent pas loin à l’école justement à cause des discriminations, ils ne peuvent pas faire la restauration parce que les gens ne vont pas manger, les gens ont peur des albinos. Ils ne peuvent pas faire la couture parce que tous les albinos, sans exception, ont des problèmes de vue donc ils sont juste là. Ici le combat c’est vraiment de changer le regard que les gens ont sur eux. »

Issaka: « Que chacun essaie de bouger les lignes à son niveau, à son échelle. »

Issaka est un volontaire burkinabé qui sillonne les différentes régions du pays pour combattre les inégalités aussi bien culturelles, sociales ou environnementales. Impliqué  dans sa communauté et fédérateur auprès des jeunes, Issaka et son groupe de volontaires prennent part à différentes campagnes dans l’objectif d’améliorer les conditions de vie des burkinabés.

Durant les dernières élections présidentielles, ils ont fait pression sur les différents partis politiques afin que la réduction des inégalités soit au cœur de leurs programmes. « Au moment où les partis politiques tournaient pour battre leurs campagnes, nous aussi on tournait pour interpeller le peuple. Pour dire aux vraiment il faut voter pour l’égalité. »

Cynthia: « Quand on connaît ses droits, on est libre. »

Cynthia est une jeune juriste engagée qui lutte en faveur des droits des jeunes et des femmes au Burkina Faso. Une fois diplômée en communication et journalisme, Cynthia poursuit ses études en droit. C’est là que lui est venue l’idée de créer, en 2019, le site DroitInfo.bf qui met l’information juridique à la portée de tous.

« L’analphabétisme est à un niveau très élevé dans nos pays et du coup, on essaie de traiter tout ce qui est loi, de telle sorte que tout citoyen, d’un certain niveau scolaire, puisse comprendre ce qui est dit dans nos différents articles sur le site. »

Mariam: « Je veux convaincre les femmes qu’elles ont le droit de revendiquer leurs droits. »

Mariam est une jeune activiste malienne. Journaliste, poétesse et écrivaine, elle lutte pour les droits des femmes. Elle se bat particulièrement contre le mariage précoce et les grossesses non-désirées pour que les jeunes femmes puissent continuer leurs études. Diplômée en droit, elle a fondé la jeune association « Pour la cause des femmes » avec laquelle elle mène des actions de sensibilisation auprès des étudiants.

« Les femmes sont des personnes à part entière. L’homme les voit comme des concurrentes mais elles ont les mêmes droits que les garçons même si souvent elles l’ignorent. Il y a aussi le poids de la tradition. Dans la tradition, les femmes ne sont femmes que quand elles sont dans un foyer. Je veux les convaincre qu’elles ont le droit de revendiquer leurs droits. »

Fousseyni : « On aide les plus vulnérables à s’organiser face à l’Etat »

Fousseyni est un jeune activiste malien, membre de la Coalition des alternatives africaines dette et développement Mali (CAD). Sociologue de formation, il lutte contre les violations des droits humains et l’expropriation des terres par des investisseurs privés et des entreprises de l’Etat. Son principal défi est d’informer et de former, pour que les personnes les plus vulnérables puissent se défendre. Il leur enseigne les outils que proposent les lois, souvent méconnues par les victimes. Il appuie également à la création de réseaux d’associations pour créer une force locale.

« J’ai vu des paysans perdre des terres qu’ils exploitaient depuis 50 ans, car l’Etat les avait cédées à une multinationale. Un paysan qui perd ses terres devient très vulnérable, il doit travailler avec le reste de sa famille pour d’autres exploitants en tant que journalier. Les enfants ne vont plus à l’école. J’ai vu des familles souffrir. Ça m’a mis les larmes aux yeux. »

Kadiatou : « Éduquer une fille c’est éduquer toute la communauté ! »

Kadiatou est une jeune étudiante et activiste nigérienne. Elle se bat pour les droits de femmes et lutte contre les traditions qui limitent leur émancipation. Selon elle, l’éducation est la clé contre les violences dont souffre le pays. Pour ça elle mène des actions de sensibilisation dans les zones rurales de la région de Dosso. Elle est aussi impliquée dans la sensibilisation sur le planning familial, sujet tabou au Niger, en utilisant notamment le théâtre participatif.

« Petite je voyais les femmes souffrir en silence, moi je n’acceptais pas de me taire. Ma famille me voyait comme une rebelle. C’était très dur, surtout avec mes parents. J’étais prête à tous les sacrifices, à force de persévérance, lassés, ils ont fini par accepter. Maintenant ils sont fiers de moi. »

Younoussi : « Tant que les décideurs politiques ne changeront rien, on continuera notre lutte »

Younoussi est un jeune activiste nigérien, engagé dans la défense des droits des populations face aux exploitations minières. Il est chargé de projet au sein du Réseau des organisations pour la transparence et analyse budgétaire au Niger (ROTAB), qui se mobilise pour changer la loi minière et forme des « comités de veille citoyenne » qui agissent sur le terrain pour faire pression sur les autorités.

« Quand les comités constatent des manquements de la part des compagnies sur les règles de sécurité, foncières ou environnementales, ils tirent la sonnette d’alarme. Il y a également un véritable problème environnemental. Ces exploitations dégradent les champs cultivables et empoisonnent le bétail. Tant que les décideurs politiques ne changeront rien, on continuera notre lutte. Les nouvelles générations ont une prise de conscience indéniable. »

Salim : « Le développement ne se mesure pas au nombre de gratte-ciels mais au nombre de citoyens qui peuvent accéder à l’école, la santé, l’emploi »

Salim est un jeune activiste tchadien qui lutte pour l’accès de tous au numérique. Informaticien, il est le co-fondateur de WenakLabs, une association de jeunes qui promeut la citoyenneté active et la démocratie participative à travers l’innovation technologique et l’ouverture des données publiques.

En partenariat avec Oxfam, Wenaklabs a développé la plateforme numérique citoyenne Femmomètre, qui mesure les engagements politiques en faveur de l’égalité femme/homme. Le combat de Salim, c’est de permettre que le plus grand nombre puisse bénéficier des opportunités que représente Internet.

« On veut montrer au gouvernement qu’Internet n’est pas une menace mais est un bénéfice pour le développement du pays. On a une approche pédagogique, on veut que l’Etat participe aux avancées, qu’il ne reste pas en marge. Le développement ne s’évalue pas au nombre de gratte-ciels, mais au nombre de citoyens qui peuvent accéder à la santé, à l’éducation, à un emploi. »

Yasmine : « Je veux être un exemple, je veux que la femme ait sa place dans la société »

Yasmine, jeune activiste tchadienne, est chanteuse et réalisatrice. Elle utilise l’art pour mener des actions de sensibilisation auprès des populations rurales. Lors d’une tournée de concert au Tchad en 2013, elle découvre la triste réalité des filles victimes de fistules obstétriques, une situation touchant de nombreuses femmes dans les zones rurales d’Afrique qui cause incontinences urinaire ou fécale à la suite d’un accouchement difficile. « C’est terrible, les parents ne veulent pas ou ne peuvent pas les faire soigner », explique-t-elle. Elle a donc créé le cinéma nomade, un moyen qu’elle a trouvé pour sensibiliser les habitants des zones rurales.

« Je fais du cinéma, du théâtre-forum et des concerts sur différents sujets : les fistules, le mariage précoce, la scolarisation des filles, l’excision, les conflits entre agriculteurs et éleveurs. Je veux que les Tchadiens soient comme les autres. Je veux que la femme ait sa place dans la société. »

Rejoignez le mouvement

Les crises auxquels fait face le Sahel, qu'elles soient sécuritaires, humanitaires ou environnementales, prennent racine dans les inégalités profondes qui enferment une part croissante de la population dans la pauvreté.

La multiplication de mouvements citoyens, dans lesquels la jeunesse sahélienne s’investit massivement, sont de puissants témoignages des désirs des populations à obtenir plus de justice, de transparence et de redevabilité.

Ces inégalités ne sont pas une fatalité. Rejoignez le mouvement pour que nous puissions, ensemble, les combattre et vaincre la pauvreté pour de bon.