En Afrique, plus de 20 millions de personnes supplémentaires souffrent de la faim durant « l’année de la nutrition »
Malgré les promesses, près des trois quarts des gouvernements africains ont réduit leur budget pour l’agriculture, alors qu'ils dépensent près de deux fois ce budget en armes.
L’année où les dirigeant·es africains ont promis d’améliorer la sécurité alimentaire dans le continent, plus de 20 millions de personnes supplémentaires, soit l’équivalent des populations du Botswana, de la Namibie et du Zimbabwe réunies, souffrent gravement de la faim.
Aujourd’hui, un cinquième de la population africaine (soit 278 millions de personnes) souffre de sous-alimentation, et 55 millions d’enfants de moins de cinq ans présentent un retard de croissance dû à une malnutrition sévère.
« La faim dont souffre aujourd’hui la population africaine est le résultat direct de choix politiques inadaptés. Durant une année marquée par l’inflation mondiale et des catastrophes climatiques, les dirigeant·es africains auraient dû assumer leursn responsabilités », estime Fati N’Zi-Hassane, directrice d’Oxfam en Afrique.
Le sous-financement chronique de l’agriculture est l’un des facteurs majeurs de la crise alimentaire de grande ampleur survenue en 2022. La plupart des gouvernements africains (48 sur 54) déclarent avoir consacré en moyenne 3,8 % de leur budget à l’agriculture, voire seulement 1 % dans certains cas. Près des trois quarts de ces gouvernements ont réduit leurs dépenses dans l’agriculture depuis 2019 et n’ont pas rempli les engagements pris dans le cadre de la déclaration de Malabo visant à investir au moins 10 % du budget dans ce secteur.
En revanche, ils ont dépensé près de deux fois ce budget en armes en 2022 (6,4 %). Les conflits en cours, notamment au Sahel et en Afrique centrale, continuent à détruire les terres cultivables, à déplacer les populations et à attiser la faim.
En l’absence de soutien significatif de l'État envers les agriculteurs et agricultrices et sans mesures d’adaptation climatique adéquates, la production des denrées de base comme les céréales a chuté l’année dernière, bien que l’Afrique possède près d’un quart des terres agricoles mondiales. L’aggravation des sécheresses et des inondations dues au climat et l’augmentation mondiale des prix du carburant et des engrais ont rendu les denrées alimentaires inaccessibles pour des millions de personnes. Rien qu'en 2022, l'inflation alimentaire a connu une hausse à deux chiffres dans toute l’Afrique, à l’exception de dix pays.
« Pendant la saison des pluies, nous n’avions pas d’argent pour acheter les engrais. En plus, notre âne est mort et j’ai dû cultiver notre champ à l’aide d’une simple daba [outil de labourage rudimentaire]. Nos réserves sont vides », déplore Sidbou, agricultrice au Burkina Faso.
À l’heure où s’ouvre aujourd’hui le 36e sommet de l’Union africaine, qui portera cette année sur le libre-échange intracontinental, des millions d'exploitations paysannes, qui jouent un rôle vital dans le continent, ne peuvent pas accéder aux marchés des pays voisins en raison du manque d’infrastructures et des tarifs douaniers intra- africains élevés. Pour de nombreux pays du continent, les produits alimentaires importés de pays non africains coûtent moins cher que ceux des pays voisins.
« À l’heure où les dirigeant·es africain·es se réunissent aujourd’hui à l’occasion du sommet annuel de l’Union africaine, nous devons agir pour éviter une autre année de promesses non tenues. Nous les exhortons à honorer les engagements pris collectivement il y a près de 10 ans concernant les investissements dans l’agriculture et le soutien aux exploitations paysannes » déclare Fati N’Zi-Hassane.
« Les dirigeant·es africains doivent prendre des mesures sérieuses pour faciliter le libre-échange intracontinental et aider les exploitations locales. Ils/elles doivent aussi renforcer les programmes visant à aider les populations à reconstruire leur vie et à faire face aux chocs climatiques récurrents », ajoute-t-elle.
- En août 2022 (dernières données disponibles), 139,95 millions de personnes dans 35 pays africains vivaient en situation de crise alimentaire ou d'insécurité alimentaire aiguë (phase de l’IPC 3 ou plus). Ces chiffres marquent une augmentation de 17 % (+ 20,26 millions de personnes) par rapport à l’année précédente, où le total s’élevait à 119,69 millions de personnes. Bien que cette augmentation puisse être attribuée à la fois à une aggravation de l'insécurité alimentaire aiguë et à une augmentation de la population analysée entre 2021 et 2022, même en considérant uniquement la part de l’échantillon de la population analysée se trouvant en phase 3 ou plus d’insécurité alimentaire, la proportion de la population dans ces phases a augmenté en 2022 par rapport à l’année précédente. Source : Mise à jour semestrielle du rapport mondial sur les crises alimentaires (en anglais) . Pour en savoir plus sur la classification IPC, veuillez consulter le Manuel technique de l’IPC 3.1et la
- La population combinée du Botswana, de la Namibie et du Zimbabwe s’élevait en février 2023 à environ 21,3 millions d'habitant·es d’après WorldoMeter .
- Les données sur la malnutrition proviennent du rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) intitulé L'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022
- D’après l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, la part moyenne des dépenses militaires dans les budgets totaux s’élevait à 6,43 % en 2021, contre 3,8 % pour l’agriculture, d’après les données de Government Spending Watch
- Le Soudan du Sud consacre moins de 1 % de son budget à l'agriculture. Les chiffres concernant l'ensemble des dépenses agricoles en Afrique sont basés sur les données provenant des budgets nationaux, de la FAO et de Government Spending Watch.
- D’après le rapport du PDDAA et le rapport de la FAO sur les perspectives de récoltes, la production céréalière de l'Afrique s’élevait en 2022 à 207,4 millions de tonnes, ce qui représente une baisse de 3,4 millions de tonnes par rapport à la moyenne des cinq dernières années.
- La pandémie de COVID-19 et les changements climatiques ont entraîné une diminution de l'accès aux intrants, de la production alimentaire, ainsi que du transport, de la distribution et de la transformation des aliments. En 2014, les dirigeant·es africain·es ont signé la déclaration de Malabo, en vertu de laquelle ils/elles se sont engagé·es à consacrer au moins 10 % de leur budget à l'agriculture et à soutenir les exploitations agricoles.
- En 2022, l'inflation alimentaire a connu une hausse à deux chiffres dans toute l’Afrique, à l'exception de dix pays. Source: Trading Economics.
Victor Oluoch | Responsable Afrique des communications et des médias