Maiga Abdoulaye Belko, animateur à l’Association pour la Gestion de l’Environnement et le Développement (AGED). Crédit : Cissé Amadou/ Oxfam

Parole aux partenaires : Des familles entières prises en étau entre les conflits et la faim

Nous vous emmenons à Dori, dans le nord-est du Burkina Faso. Capitale de la région du Sahel, son nombre d’habitants a explosé ces dernières années avec l’arrivée des déplacés internes. Dans un climat d’insécurité civile qui semble ne jamais prendre fin, des familles entières ont fui leurs terres natales pour se réfugier à Dori. Une fois sur place, dans un environnement qui leur est complètement étranger, ils doivent faire face à une nouvelle menace, qui peut être tout aussi mortelle : la faim.  

Maiga Abdoulaye Belko, animateur à l’Association pour la Gestion de l’Environnement et le Développement (AGED) vient en aide à ces familles mais le travail à abattre reste colossal. Il s’est confié à nous.  

Question : Vous êtes à Dori, une localité qui accueille beaucoup de déplacés internes de la région. À quels défis font-ils face quand ils arrivent ici ?  

Maiga Abdoulaye : Il faut avouer que les gens sont venus dans des conditions très difficiles. Ils n’ont pas à manger et ils sont étrangers sur le site et même dans leur milieu. Il faut d'abord comprendre les conditions dans lesquelles ils ont quitté chez eux. La plupart ont quitté sans rien et ont même quitté leurs familles. Les membres de leurs familles les ont rejoints après. Il y a également des gens qui ont pu, selon la situation, attendre de pouvoir venir ici avec leurs familles. Ils vivent ici dans des conditions vraiment difficiles.  

Question : Pouvez-nous nous en dire plus sur ces conditions ?  

Maiga Abdoulaye : Certains sont des sans-abris et ils n’ont aucune ressource. Les membres de certains ménages passent de concession en concession pour piler, laver des habits, et ils se rendent au marché pour pratiquer les activités de docker, afin de trouver à manger pour leurs familles parce qu'ils manquent cruellement d’argent. Parmi eux, très peu gagnent assez pour pouvoir assurer deux repas par jour. À cause de ça, nous avons remarqué des cas de malnutrition surtout chez les femmes enceintes, celles qui allaitent et chez les enfants.

Question : Quelles sont les actions que vous menez pour les aider à assurer leurs moyens de subsistance ? 

Maiga Abdoulaye : Pour mieux organiser l’aide, nous avons établi un processus de protection qui nous permet d’identifier les personnes en difficulté. L’action sociale nous fournit des listes de noms sur la base des données des déplacés. Normalement, tout nouveau venu doit s’inscrire sur leurs listes. Nous les approchons ensuite et organisons des distributions de vivres et d’autres produits essentiels, tels que le savon ou le shampooing afin que les ménages puissent maintenir une bonne hygiène. Il y a aussi les “cash transfers” qui s'effectuent. 

Question : Comment sont organisés ces “cash transfers” et comment les fonds sont-ils généralement utilisés par les déplacés ? 

Maiga Abdoulaye : Les “cash transfers” permettent aux déplacés d’avoir une certaine somme d’argent avec laquelle ils pourront s’acheter des vivres en fonction de leur besoin alimentaire. Le transfert se fait via une carte Sim octroyée au chef de famille, qui reçoit un dépôt d'argent calculé en fonction de la taille du ménage. Les ménages vulnérables reçoivent 5 000 fcfa par personne (environ 7,60 euros). Ce transfert est destiné uniquement aux besoins alimentaires de la famille.  

Pour certains commerçants qui évoluent dans le secteur informel, nous avons pu leur remettre 75 000 fcfa (environ 114 euros) par personne afin qu’ils puissent continuer leurs activités. 

Question : Ces différentes actions permettent-elles de rejoindre et d’aider toutes les familles de Dori qui sont dans le besoin ?  

Maiga Abdoulaye : Ce que nous amenons c’est généralement, comme eux-mêmes ils aiment le dire, juste à titre symbolique. Avec certaines tailles de ménages, on ne peut malheureusement pas satisfaire tout le monde. Et même si nous ne ciblons que les déplacés qui sont là, nous n’arrivons pas à couvrir les effectifs. Là où nous intervenons, nous donnons ce que nous pouvons. Mais nous sentons toujours que ça ne va pas parce que même dans la rue, les gens nous interpellent et nous disent qu’ils n’ont jamais bénéficié de ce que nous distribuons et qu’ils attendent encore. Parmi eux, certains n’ont pas d’abris, pas de quoi manger à leur faim, etc.

Question : Qu’est-ce qui peut et doit être fait pour que ces personnes ne soient pas exposées à de pires niveaux de faim ? 

Maiga Abdoulaye : Nous constatons que  le système alimentaire de ces déplacés se dégrade de jour en jour , en ce sens qu' ils ne trouvent aucune ressource pour se nourrir et que la communauté hôte n’arrive plus à les soutenir.  Dans l’ensemble tout le monde s’attend  à ce qu’on leur apporte des vivres, de l’eau  et surtout un appui dans le domaine de la santé, mais nous rencontrons également des déplacés qui expriment leur besoin d’accès à des terres cultivables. Beaucoup d’entre eux ressentent le besoin de travailler la terre, comme ils le faisaient chez eux, mais ils n’ont pas pu trouver des champs auprès de la communauté hôte. Certains nous demandent aussi la possibilité  d’avoir des formations ou un appui pour mener des activités génératrices de revenus. 

Tant que la situation continue, on aura toujours besoin du soutien des différents partenaires, notamment Oxfam. Nous demandons aux autres partenaires qu’ils puissent mettre la main à la pâte pour que nous arrivions à soulager ces gens-là.  

 

À la date du 30 juin 2021, le nombre de déplacés dans le pays s’élevait à plus d’1,3 million de personnes, selon le Conseil National de Secours d’Urgence (CONASUR). Ils sont pris au piège entre les différents acteurs du conflit, dans un cycle de violence qui a des impacts graves sur l’accès aux services sociaux de base, aux moyens de subsistance et à l’assistance. Les  niveaux d'insécurité alimentaire dans le pays ont augmenté de plus de 200 % entre 2019 et 2020 et pourraient atteindre 317 % à la fin de la période de soudure actuelle. Pour éviter que ces populations ne continuent de s’enliser dans ce qui est déjà une des pires crises de la faim au monde, les gouvernements doivent agir maintenant.  

Pour aller plus loin : https://westafrica.oxfam.org/fr/latest/press-release/le-sahel-est-lune-des-crises-de-la-faim-qui-s%E2%80%99intensifie-le-plus-rapidement