Rongée par la précarité dans le site de déplacés de Amma, Achta brandit les ingrédients qu’elle cuisine pour ses 5 enfants. Crédit photo: Mahamat Ibrahim Saleh/ Oxfam

Au mois de juillet 2021, nous tirions la sonnette d’alarme sur l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel, une des crises de la faim qui s’intensifiait le plus rapidement dans le monde.

Entre juin et septembre 2022, 33 millions de personnes pourraient se retrouver en situation de crise alimentaire et nutritionnelle au sahel et en Afrique de l’Ouest

Au mois de juillet 2021, nous tirions la sonnette d’alarme sur l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel, une des crises de la faim qui s’intensifiait le plus rapidement dans le monde. Presque 6 mois plus tard, 23,7 millions de personnes sont toujours en situation de crise alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Si rien n’est fait, nous projetons que ce chiffre grimpe davantage en 2022. Ce seraient des millions d’enfants, de femmes et d’hommes qui auront besoin d’assistance alimentaire et nutritionnelle durant la prochaine période de soudure, période où les récoltes précédentes sont épuisées et juste avant les premières récoltes de l’année. Qu’est-ce qui peut être fait pour freiner cette crise alimentaire, l’une des plus graves que connaît la région depuis 2016 ?

Notre spécialiste en sécurité alimentaire, Ismaël Ardho Boly, revient sur les causes de cette crise, les leçons à tirer de l’année 2021 et partage des recommandations qui pourraient contribuer à atténuer la situation.

 

Question 1 : Qu’est-ce qui peut expliquer l’augmentation du nombre de personnes en situation de crise alimentaire et nutritionnelle, entre juillet et décembre 2021 ?

Ismaël Ardho Boly : Plusieurs facteurs conjugués expliquent l’augmentation des chiffes de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

  • Les aléas climatiques qui se sont caractérisés par des déficits pluviométriques dans de nombreux pays du Sahel, des inondations dans d’autres
  • La persistance de l’insécurité dans la région qui a engendré des millions de déplacés internes (près de 7,5 millions dans le Liptako Gourma*[1] et le bassin du lac Tchad) et des difficultés d’accès aux zones de production ce qui n’a pas permis une bonne campagne agropastorale. En effet comparé à l’année dernière, on note une baisse des productions céréalières, plus marquée dans les pays sahéliens

Nous avions déjà alerté au sujet de la période de soudure 2021, mais malheureusement, nous nous rendons compte que les plans nationaux de réponse déployés par les Etats et les agences humanitaires sous forme d’assistance alimentaire sont globalement en deçà des besoins (50 à 60% de couverture). Cela n’a pas permis aux populations de satisfaire leurs besoins alimentaires et elles ont donc dû adopter des stratégies de crises impactant négativement leurs moyens d’existence.

À ces 2 facteurs s’ajoutent la hausse globale des prix des intrants agricoles et des principales denrées de base, les conséquences de la pandémie de la Covid -19 marquées par la baisse des transferts monétaires, la fermeture des frontières qui affecte négativement les échanges transfrontaliers et les activités génératrices de revenus.

Tous ces éléments conjugués ont plongé des millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle.

Question 2 : Comme vous l’avez mentionné, ces derniers mois ont été caractérisés par l’augmentation des prix des denrées alimentaires dans plusieurs pays en Afrique de l’Ouest, entraînant la baisse du pouvoir d’achat des ménages les plus vulnérables. Comment s’explique cette augmentation ?

Ismaël Ardho Boly: Cette augmentation peut s’expliquer par une combinaison de différents facteurs. L’insécurité dans la région a perturbé les marchés et donc mis plus de pression sur la demande. Cette augmentation est arrivée alors qu’on constatait un épuisement précoce des stocks des récoltes de l’année précédente.

Les mesures restrictives liées à la Covid-19 n’ont pas aidé les choses. La fermeture des frontières et la hausse des coûts d’approvisionnement (coût du fret et du transport) ainsi que la dépréciation de certaines monnaies locales ont globalement entrainés l’augmentation des prix des denrées alimentaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

Question 3 : Quelles sont les projections pour la prochaine période de soudure, si les choses ne changent pas ? Quel pourrait être le bilan en matière de sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest en 2022 ?

Ismaël Ardho Boly: Si des mesures appropriées ne sont pas prises, la prochaine période de soudure alimentaire s’annonce difficile et pourrait même être plus précoce que d’habitude du fait de la baisse des productions céréalières. Si aucune mesure n’est prise, les chiffres de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest pourraient atteindre 33,4 millions de personnes en situation de crise alimentaire et nutritionnelle.

Question 4 : La période de soudure 2022 commence dans environ 6 mois. Qu’est-ce qui peut être fait pour éviter de plonger des millions de personnes supplémentaires dans la faim au Sahel et en Afrique de l’Ouest ?

Ismaël Ardho Boly: Il faut agir dès maintenant. Il faut apporter une assistance alimentaire et nutritionnelle aux populations qui sont présentement en situation de crise :

  • Pour atténuer les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19, il faudrait assouplir les mesures en lien avec les fermetures des frontières afin de redynamiser les échanges commerciaux entre les pays
  • Il faudrait lancer des activités de productions en dehors de la saison des pluies, durant la saison sèche d’octobre à juin
  • Il est important de promouvoir les activités de production ou de commercialisation qui peuvent générer des revenus additionnels
  • Il faut aussi mobiliser les mécanismes de solidarité communautaire tels que les banques céréalières et aliments bétail. Ces initiatives villageoises permettent de résister à la spéculation des prix des aliments de base et de contrôler l’approvisionnement en nourriture et en aliments bétails des villages les plus vulnérables situées dans les zones affectées par l’insécurité alimentaire et nutritionnelle.
  • Afin d’élaborer des plans de réponses qui pourront venir en aide à un plus grand nombre de personnes, les états et partenaires humanitaires doivent rechercher plus de financements car le nombre de personnes en situation de crise alimentaire augmente et les financements sont insuffisants. À ce jour pour l’année 2021, seulement 45% des financements nécessaires pour couvrir les besoins de base des populations d’Afrique de l’Ouest et du Sahel sont couverts.[2]

Il est aussi important de s’attaquer aux causes profondes du problème.

  • Développer une approche holistique de résilience, de sécurité humaine et de développement durable avec les acteurs locaux de la société civile afin d’avancer les efforts de paix inclusifs, limiter l’insécurité civile et éviter des déplacements importants de populations
  • Prioriser les efforts pour faciliter l’accès et l’espace humanitaire, et assurer le respect des principes humanitaires par tous les acteurs dans les zones affectées par l’insécurité.
  • Investir sur des analyses de besoins humanitaires-développement conjointes qui soient sensibles au conflit et qui comporte une analyse de risque afin de répondre de manière plus efficace et pertinente aux besoins des personnes affectées.
  • Continuer et renforcer les mesures de prévention et traitement de la malnutrition aigüe dans les zones où les taux d’alerte sont atteints notamment dans le bassin du lac Tchad et le Liptako Gourma.
 

[1] La région du Liptako-Gourma est située à cheval sur les frontières communes du Burkina, du Mali et du Niger.