Lily Séguin : « Pour faire face à la COVID-19 en RCA, écoutons les communautés ! »
10 avril 2020 – Lily a été déployée d’urgence à Bangui pour améliorer la santé publique et la réponse d’Oxfam face à la COVID-19 en Centrafrique. © Aurélie Godet/Oxfam RCA
En République centrafricaine (RCA), la COVID-19 a touché quatorze personnes. Mais comment faire face à cette pandémie dans un pays ravagé par plus de sept ans de conflits, et où le confinement n’est pas une option ?
Oxfam espère le meilleur, mais se prépare au pire. Rencontre avec Lily-Madeleine Séguin, un tourbillon d’énergie venu du Canada, en renfort sur le terrain.
En quoi consiste ton travail ?
Je travaille avec les communautés pour diminuer les risques de santé publique. Pour faire simple, je me pose ces questions : qu’est-ce que les communautés vivent et pensent, et comment les mettre au centre de nos actions ?
En RCA, j’étais d’abord venue aider nos équipes en gestion de l’assainissement à Bria et Batangafo [ndlr : deux zones d’intervention d’Oxfam dans le nord du pays]. Puis on a été rattrapés par la Covid-19, et on m’a demandé de rester plus longtemps !
On est aujourd’hui face à quelque chose d’inédit. Comment continuer à assurer nos activités humanitaires essentielles malgré la pandémie ? Comment adapter nos activités de promotion de la santé ? Même au niveau des équipes, c’est complexe à gérer.
Tu étais en République démocratique du Congo (RDC) en 2018 et 2019 pour la réponse Oxfam face à Ebola. Quels enseignements en as-tu tirés ?
Il faut impliquer tout de suite les communautés. Ça permet d’éviter l’incompréhension, les tensions entre la réponse et les communautés, les violences, mais aussi une plus grande propagation de la maladie.
La réponse était violente en RDC. Par exemple, les lits des malades étaient directement brûlés devant leur maison. Pourtant, c’est important que les gens ne se sentent pas stigmatisés. De plus, j’entendais souvent qu’on n’avait pas le temps pour l’engagement communautaire. C’est vrai que les discussions, ça prend du temps. Mais on ne peut pas le faire sans les gens !
Et comment lutter contre les fausses rumeurs ?
Chez Oxfam, nous privilégions les activités de remontée de perceptions communautaires. Nos équipes vont à la rencontre des gens. Nous prenons le temps de les écouter et de discuter. Ils notent leur ressenti, leur façon de voir la maladie, leurs questions. Puis nous travaillons avec les personnes influentes et de confiance dans les communautés pour déconstruire les fausses rumeurs et apprendre à se protéger de la Covid-19. C’est un outil très fort pour lutter contre la désinformation. Par exemple, la maladie est importée et ça pose problème. Certains croient que les Noirs sont immunisés, d’autres que c’est un complot venu de l’étranger pour justement tuer les Africains. Il faut en finir avec ces idées reçues !
De nombreux pays ont décidé d’imposer un confinement général pour endiguer la pandémie. Une solution pour la RCA ?
Non. D’ailleurs, jusqu’à présent, le gouvernement ne l’a pas mis en place ici, préférant des mesures de distanciation sociale – qui restent très compliquées. Beaucoup de gens vivent au jour le jour et ne recevront pas, ou très peu d’aide, s’ils ne peuvent pas sortir de chez eux. Surtout, nombreux sont ceux qui vivent dans des petits espaces. Que ce soit dans les quartiers de la capitale, ou pire encore, dans les sites de déplacés comme celui de PK3 où Oxfam intervient [ndlr : 45 000 personnes vivent sur le site PK3 de Bria, dans le centre de la RCA. C’est le plus grand du pays].
Sans confinement, le risque de contagion est grand. Quelles mesures doivent-être prises selon toi ?
Pour faire face à la Covid-19 en RCA, écoutons les communautés, et trouvons des solutions avec elles ! Il faut bien sûr écouter les partenaires médicaux, mais ne surtout pas faire l’erreur d’avoir une conversation uniquement biomédicale. En fin de compte, pour le moment, deux options loin d’être parfaites s’offriront aux communautés selon moi : l’isolement des gens malades ou l’isolement des gens vulnérables, comme les femmes enceintes, les personnes âgées, ou celles souffrant de maladies chroniques, respiratoires ou cardiaques.
Les femmes sont-elles plus à risque ?
Elles sont en première ligne ! Le plus souvent, ce sont les femmes qui vont chercher de l’eau et prennent soin de la famille, s’occupent des parents malades ou des enfants bloqués à la maison car les écoles sont fermées. C’est le drame avec la Covid-19, ou Ebola : les personnes les plus à risque sont celles qui s’occupent des malades. Ça s’attaque à la beauté humaine, et rend la maladie plus dangereuse.
Quel est le pire scénario pour la RCA ?
La RCA est considérée par les Nations Unies comme l’un des pays au monde les moins préparés pour faire face à la Covid-19. C’est un des pays les plus pauvres de la planète, où une personne sur deux a besoin d’une aide humanitaire. Le système sanitaire est extrêmement faible. 70% des services de santé sont fournis par des organisations humanitaires… qui doivent déjà faire face à des épidémies de rougeole et de malaria. Le plus mauvais scénario serait d’avoir une flambée d’épidémie de la Covid-19, combinée à un niveau de violence qui forcerait les ONG à quitter le pays. Rien de pire qu’une épidémie dans une guerre civile !
Des espoirs ?
Nous avons une fenêtre pour agir en RCA. Il n’y a pas de confinement général, très peu de cas pour le moment, donc on peut se déplacer et accéder aux communautés. Mais globalement, la communauté internationale est encore trop centrée sur elle-même. Notre plus grand espoir est qu’elle n’oublie pas la RCA, et que le plan de réponse Covid-19 soit financé.
Propos recueillis par Aurélie Godet / Oxfam RCA.