Parole aux partenaires : les organisations de défense des droits des femmes à l'heure du digital
Chaque année, le mois de Mars est une nouvelle occasion de célébrer les avancées faites en matière de respect des droits des femmes, mais aussi une occasion de mettre en exergue les multiples barrières qui freinent la justice de genre et de plaider pour le changement.
Cette année sur la scène mondiale, un monde digital inclusif est mis de l’avant pour lutter contre les inégalités de genre. En Afrique de l’Ouest, force est de constater que la réalité est encore bien différente. Pour les organisations locales qui œuvrent dans la promotion des droits des femmes, il reste difficile de profiter du plein potentiel des nouvelles technologies et du digital, dans des contextes où les barrières qui se dressent contre les jeunes filles et femmes sont encore nombreuses.
C’est un constat qui est partagé par plusieurs organisations des femmes de Centrafrique. Nous nous sommes entretenus avec l’une d’elle, l’Association des Femmes Evangéliques de Bossangoa. L’AFEB est une association humanitaire qui œuvre pour la promotion des droits des femmes et la protection des enfants
Question : En tant qu’organisation locale, qu’est-ce que le thème global pour la journée de la femme 2023 signifie pour vous ? « Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes »
AFEB : En tant qu’organisation locale pour la promotion des droits des femmes, le thème pour la journée internationale de la Femme signifie beaucoup de choses pour nous les femmes de Batangafo. Premièrement, il nous met sur le même pied d’égalité que les hommes en ce qui concerne l’utilisation des nouvelles technologies. L’usage de ces outils de l’information et de communication n’est pas réservé uniquement aux hommes mais également à nous les femmes. Grâce à ce monde dit digital, on peut améliorer nos connaissances à travers des formations en ligne ou suivre ce qui se passe à travers le monde sur nos téléphones portables ou encore recevoir des messages de sensibilisation. En un mot, ce thème revêt une importance capitale pour les femmes de Batangafo. Pourquoi nous disons cela? C’est parce que dans certains ménages, les conjoints interdisent à leurs femmes d’utiliser des téléphones. Pour eux, ils pensent que c’est un signe d’infidélité quand une femme utilise le téléphone.
Question : Dans le contexte Ouest-Africain et selon vous, quels sont les opportunités et des défis qu’un monde digital peut comporter pour l’avancement des femmes et de la jeunesse africaine?
AFEB : Le monde digital offre des opportunités pour l’épanouissement des femmes ainsi que des défis. Pour ce qui est des opportunités, les femmes dans le monde actuel peuvent accéder à des formations en ligne tout en restant dans leur localité ou leur pays. Même des transactions monétaires, à travers le transfert d’argent par téléphone mobile, qui facilitent beaucoup plus les femmes qui font des petits commerces localement. D’autres opportunités qu’on peut énumérer : l’ouverture des adresses électroniques, comptes sur les réseaux sociaux, des commerces en ligne, participation aux réunions en ligne, des bourses d’études pour les jeunes garçons et filles sont des nombreuses opportunités pour l’avancement des femmes et de la jeunesse africaine.
Question : Quelle est votre expérience en matière d’accès aux TIC?
AFEB : Notre expérience est beaucoup plus basée sur l’utilisation du téléphone portable qui nous sert à envoyer des communications ou suivre des informations sur la radio locale. Pour l’internet, on se connecte difficilement à cela par rapport aux perturbations des réseaux téléphoniques, vu que même l’accès aux téléphones adaptés est très difficile.
Question : Cette expérience a-t-elle un impact positif ou négatif sur l’atteinte de vos objectifs organisationnels? Si oui, comment?
AFEB : Cette expérience a un impact positif sur l’atteinte de nos objectifs organisationnels Par exemple, lorsque nous voulons tenir nos réunions hebdomadaires, nous nous informons parfois par le biais du téléphone portable pour appeler les unes les autres pour venir aux réunions ordinaires ou d’urgence. Même pour nos documents de base (Statuts et Règlement Intérieur), nous les avons informatisés grâce à l’ordinateur des personnes de bonne foi qui appuient dans ce sens.
Concernant l’impact négatif, on a eu des cas de harcèlement et de menaces au téléphone de la part de certains hommes malintentionnés ou même nos propres conjoints lorsque nous prenions part à des réunions ou ateliers de formation; cela conduit le plus souvent à des violences conjugales, séparations des couples en milieu conjugal lié à l’utilisation du téléphone portable, etc. Il y a également des cas de vol des téléphones. Pour finir, nous déplorons toujours des comportements désagréables de certains hommes en milieu conjugal en lien avec l’utilisation du téléphone par leurs femmes. Cela constitue une grande barrière pour l’atteinte de nos objectifs organisationnels. Prenons un cas, par exemple si notre Trésorière Générale devrait venir à notre réunion pour établir des dépenses pour nos activités et que son mari lui empêche de participer à la réunion, du coup toute l’organisation est bloquée dans ce que nous avions prévu de faire puisque c’est elle qui détient la caisse.
Question : Quelles sont vos recommandations pour faciliter l’accès aux TIC pour les organisations locales?
AFEB : En tant qu’organisation locale pour la promotion des droits des femmes, nous formulons les recommandations suivantes :
- Créer un centre de formation en informatique équipé pour les femmes de Batangafo pour qu’elles soient à au même niveau que les autres femmes dans le monde;
- Doter nos organisations en support informatique et bureautique;
- Plaider pour l’amélioration de la qualité de la connexion au niveau de Batangafo;
- Former les femmes sur l’entreprenariat du monde digital pour valoriser nos produits et articles locaux;