« Ne laissez personne sur le bord du chemin » est le thème de la campagne contre les inégalités au Burkina Faso.
Les inégalités s'imposent au cœur des élections présidentielles au Burkina Faso et au Niger
La lutte aux inégalités s’impose comme une priorité en vue des élections présidentielles au Burkina Faso (22 novembre) et au Niger (27 décembre), grâce à la mobilisation de la société civile. En effet, celle-ci veille au grain et talonne les candidat-e-s pour qu’ils s’engagent publiquement à suivre une série de recommandations pour réduire les inégalités. Et ça fonctionne. Au Burkina Faso, neuf candidat-e-s sur dix se sont formellement engagés à lutter contre les inégalités.
Dans les deux pays, la société civile recommande notamment une augmentation massive des budgets dédiés à la santé et l’éducation, un plus grand soutien au secteur agricole durement affecté par la crise de la Covid-19, un système de fiscalité progressive, des réformes du code civil pour mettre fin aux discriminations à l’héritage contre les femmes.
Le Burkina Faso est le pays qui a le budget à l’éducation le plus élevé parmi les pays UEMOA, 22,9% dépassant même l´objectif mondial (20%). Mais le montant mobilisé reste faible pour permettre à tous les enfants en âge d´aller à l´école de fréquenter. Pour la candidate Monique Yeli Kam du Mouvement pour la renaissance du Burkina Faso, il est clair que « c’est par l’éducation que le Burkina Faso parviendra à relever le défi de son développement et réduire les inégalités. »
Du côté des électeurs, les réseaux sociaux surchauffent et les langues se délient, créant un effet d’entraînement en faveur de plus d’égalité. Pour Madjara Traoré, présidente de l’Union provinciale des professionnels agricoles du Kénédougou au Burkina Faso, le message est clair : « Ceux qui vont se présenter en 2020, ils n’ont qu’à faire tout pour prendre les femmes rurales en compte. Nous sommes dans vos assiettes le matin, le midi et le soir. Si nous ne produisons pas, vous ne mangez pas !». Les femmes et les jeunes, surtout dans les zones rurales, sont en effet les principaux laissés pour compte. Au Burkina Faso, le budget du secteur agricole source de vie de plus de 80 % de la population a connu une baisse de 38 % entre 2017 et 2019. Et seulement 7 % des femmes sont propriétaires d’une terre contre 32 % chez les hommes.
L’enjeu est grand pour ces pays, mais aussi pour la région du Sahel. Les inégalités socio-économiques et le profond sentiment d’injustice que vivent les populations sahéliennes sont à la racine des nombreuses crises que vit la région du Sahel, selon le rapport d’Oxfam sur les inégalités au Sahel. Le voisin malien est d’ailleurs tombé dans la crise politique ces derniers mois avec à son paroxysme le coup d’Etat en août 2020. Face à un contrat social profondément brisé entre populations et dirigeant-e-s, le message est clair pour les mouvements sociaux et les organisations de la société civile des deux pays : il est urgent de changer radicalement de cap et de prioriser la justice sociale pour mettre fin aux crises sahéliennes.
« Ne laissons personne sur le bord du chemin » est le thème de cette campagne au Burkina Faso, où les 20 % les plus aisé-e-s concentrent encore 44 % des revenus, tandis que 80 % de la population se partage les 56% restants. Plus d’une trentaine d’organisations de la société civile se sont mobilisées depuis le début de la campagne présidentielle sous la bannière Agir contre les inégalités. Les candidat-e-s ont été invités à signer un manifeste accompagné de recommandations lors de séances publiques que les électeurs pouvaient suivre sur Facebook et Twitter, et d’autre part en rendant publique l’évaluation de leurs engagements pour s’assurer qu’ils passent de la parole aux actes.
Alors que s’achève la campagne au Burkina Faso, le mouvement contre les inégalités se propage jusqu’au Niger où débute la campagne « Votons pour un Niger sans inégalités », portée par l’Alliance contre les inégalités, un regroupement d’une quinzaine d’organisations de défense des droits des femmes et des jeunes, d’organisations confessionnelles, de syndicats, de mouvements sociaux et d’autres organisations de la société civile nationales et internationales.
L’Alliance contre les inégalités propose un nouveau contrat social priorisant la réduction des inégalités dans ce pays qui, grâce à une bonne croissance économique, vient de quitter sa place longtemps occupée de pays le plus pauvre d’Afrique de l’Ouest, passant de la 173e place en 2012 à la 132e place en 2020 dans le classement international Doing Business de la Banque mondiale. Mais le Niger ayant aussi le niveau d’éducation le moins élevé au monde, la durée moyenne de scolarisation étant de tout juste 18 mois, beaucoup reste à faire dans la lutte aux inégalités.
Il y a beaucoup de personnes vulnérables au Niger, notamment 2,9 millions de personnes qui ont basculé dans l’urgence au cours de l’année en raison de la faim, des inondations, de la violence des groupes armés. La malnutrition persiste et provoque chez les enfants de moins de 5 ans, des retards de croissance beaucoup plus élevés en zones rurales qu’en milieu urbain (47 vs 29 % ) . « J’ai du mal à allaiter mon nourrisson de 4 mois, je n’ai pas assez de lait car il faut d’abord manger à sa faim pour avoir la force et les nutriments nécessaires, or nous manquons de vivres », explique Maimouna Hama, une femme déplacée qui a trouvé refuge à Ouallam.
Certes, de meilleurs lendemains sont possibles au Sahel central si l’on en croit les promesses de 1,7 milliard de dollars US par 24 donateurs lors de la Table ronde ministérielle sur la situation humanitaire dans la région du Sahel central tenue à Copenhague le 16 octobre 2020. Mais l’Afrique de l’Ouest demeure la région où les gouvernements sont les moins engagés du continent dans la lutte contre les inégalités, selon l’indice d’Oxfam de l’engagement à la réduction des inégalités 2019 (ERI). Le véritable vent de changement en faveur de plus d’égalité devra venir de l’intérieur. Et à la veille des élections au Burkina Faso et au Niger, les électeurs ont faim.